Tout tout tout, vous saurez [presque] tout sur le koji

Sources de bactéries lactiques fructophiles

Comme à mes habitudes, je vais aborder dans cet article les principaux processus biochimiques qui se déroulent lors de la production de koji.

          I- Qu’est ce que le koji ?

Le koji est un ferment qui est indispensable à la production de nombreux aliments fermentés comme la sauce de soja, le miso, le saké, le mirin, l’amazaké, le shio koji, etc etc

Il est obtenu traditionnellement en ensemençant des céréales (riz, orge, …) ou des légumineuses (soja, ...) avec une moisissure spécifique non pathogène dite aussi moisissure noble. Le choix de la moisissure à utiliser dépend de la nature du substrat et aussi de l’utilisation du koji obtenu.

Ainsi on n’utilisera pas la même moisissure si on souhaite par exemple produire du koji de bonne qualité pour faire du saké ou pour faire de la sauce de soja.

Différents koji faits maison avec différentes variétés de riz et avec du soja jaune

Lors de la croissance de ces moisissures, elles vont excréter des enzymes digestives. C’est à dire qu’elles vont libérer à l’extérieur de leur cellule différentes enzymes qui s’y trouvaient. C’est pourquoi le koji obtenu est un produit ultra riche en enzymes.  

Il existe 3 catégories d’enzymes digestives :

- Les enzymes glycolytiques (amylase, maltase, saccharase et lactase) qui décomposent les glucides en glucose

- Les enzymes protéolytiques (protéases) qui décomposent les protéines en acides aminés

- Les enzymes lipolytiques (lipases) qui décomposent les lipides en acides gras.

La proportion de chacune de ces enzymes digestives produites par les moisissures varie en fonction de la nature de la moisissure. Ainsi il existe par exemple des moisissures qui vont produire plus d’amylase que de protéase. Il en existe d’autres  qui vont en produire en quantité similaire. Certaines vont produire beaucoup plus de protéase que d’amylase.

Ces moisissures naturelles comestibles produisent très très peu de lipase, enzyme qui décompose les lipides. Dans la nature il existe bel et bien une moisissure qui produit des lipases en grande quantité mais malheureusement cette moisissure n’est pas comestible.

Afin de satisfaire les besoins de l’industrie agro-alimentaire, des chercheurs ont extrait de cette moisissure non comestible le gène responsable de la production de lipase. Ils ont ensuite modifié une moisissure comestible en introduisant ce gène spécifique dans le génome de celle-ci. Ils ont ainsi réussi à produire une moisissure comestible produisant abondamment de la lipase ! J’en parlerai plus en détail dans un article concernant l’ingénierie enzymatique.

Les céréales étant plus riches en amidon que les légumineuses, il serait judicieux de produire un koji de céréales en utilisant une moisissure qui produit beaucoup plus d’amylase.

Les légumineuses sont plus riches en protéines que les céréales, il faudrait donc choisir une moisissure produisant plus de protéase si l’on souhaite produire un koji de légumineuses de bonne qualité.

Aspergillus oryzae est la moisissure généralement utilisée pour ensemencer les céréales. Mais il existe des souches apparentées comme Aspergillus sojae et Aspergillus luchuensis qui sont des cultivars utilisés pour d’autres substrats.

Les céréales sont riches en amidon. L’amidon est une molécule complexe composée de 200 à 300 molécules de glucose, selon l’espèce végétal, liées les unes aux autres selon des configurations différentes appelées amylose et amylopectine.

Pour la petite histoire c’est Kirchoff, un chimiste Allemand, qui a été le 1er à découvrir le phénomène de saccharification de l’amidon qu’il décrit comme la dépolymérisation  en un produit au goût sucré. La dépolymérisation étant la décomposition de polymères qui sont des molécules complexes en leurs éléments simples constitutifs de base.

Dès le début du 19ème siècle il a découvert qu’en faisant bouillir de l’amidon avec un acide, cela transformait l’amidon en une substance au goût sucré composée principalement de glucose.

Cependant cette méthode d’hydrolyse acide de l’amidon a plusieurs inconvénients comme un rendement peu élevé, la formation de sous-produits indésirables, etc etc

De nos jours, en milieu industriel, la quasi-totalité de l’hydrolyse de l’amidon est réalisée à l’aide d’enzymes. On parle alors de saccharification enzymatique.

C’est cette saccharification enzymatique qui se fait naturellement lors de la production de koji grâce aux enzymes fongiques excrétées par les moisissures utilisées

Je précise toutefois que cette saccharification naturelle n’est pas totale, c’est à dire qu’elle ne conduit pas à la formation de 100 % glucose mais plutôt un mélange majoritaire de maltose et d’ isomaltose avec du glucose en teneur beaucoup moins importante. Le maltose et l’isomaltose étant composé de 2 molécules de glucose, ils ont un pouvoir sucrant (moins important que celui du glucose).  Ce qui explique pourquoi le koji a une saveur légèrement sucrée.

Aspergillus oryzae a été domestiqué en Asie depuis des millénaires. Je précise que, contrairement à leurs parents sauvages (pathogènes  et opportunistes),  cette variété domestiquée ne possède pas le gène de production d’aflatoxines nocives.

La moisissure Aspergillus oryzae rencontre un grand succès dans le domaine de l’industrie alimentaire grâce à son innocuité et à sa grande capacité à produire des enzymes digestives comme les protéases et les amylases.

Je vous mets dans les références les liens vers quelques études justifiant la production d’amylase et de protéase par la moisissure Aspergillus oryzae.

Le rôle de ces enzymes est de décomposer des molécules complexes (protéine, glucide, lipide) en de molécules simples appelés nutriments qui sont directement assimilables par notre organisme.

Aucun aliment, à part le miel, n’est directement assimilable par notre organisme. Tout aliment doit subir différentes transformations tout au long du tractus digestif avant de pouvoir franchir la barrière intestinale : c’est la digestion à proprement parler !

Dans le sens biologique une substance est dite digeste, si et seulement si elle est directement assimilable par l’organisme c’est à dire qu’elle peut passer directement dans le sang en franchissant la barrière intestinale  afin d'être ensuite absorbée par les cellules.

Alors que dans le langage courant, un aliment est dit digeste si sa consommation ne provoque pas des troubles comme par exemple des douleurs abdominales , des ballonnements, des lourdeurs d’estomac, etc etc. Cette utilisation du terme digeste dans le langage courant est donc un abus de langage

Lors des fermentations, quelque soit leur nature, les molécules complexes composant les ingrédients utilisés subissent différentes transformations biochimiques faisant intervenir des enzymes conduisant à la libération de nutriments pouvant passer directement dans le sang. On dit ainsi que les aliments fermentés sont digestes.

Les aliments fermentés apportent également des enzymes digestives qui, une fois ingérées, vont décomposer les molécules complexes  contenues dans notre alimentation au même titre que les enzymes digestives déjà présentes dans notre organisme.

Il est scientifiquement et médicalement prouvé depuis déjà plusieurs années que le manque d’enzymes digestives actives dans notre organisme est la cause de différentes pathologies comme par exemple l’intolérance au gluten, l’intolérance au lactose, etc etc

          II- Que se passe t-il durant la production de koji ?

Le protocole de base consiste à inoculer des céréales ou des légumineuses préalablement cuites avec des spores d’Aspergillus oryzae ou autres.

Ces spores sont disponibles à la vente. En aucun cas il n’est envisageable de faire une culture maison de ces spores. En effet cela relève d’un savoir-faire ancestral qui exige plusieurs années de pratiques et d’apprentissages. Je rappelle que seules les variétés domestiquées ne sont pas pathogènes.

Tane-koji ou ferment pour koji

Au Japon par exemple, il existe seulement 8 familles d’artisans producteurs d’Aspergillus oryzae. A l’heure où la culture en laboratoire de micro-organismes ainsi que leur production à échelle industrielle a le vent en poupe, ces familles japonaises transmettent leur savoir-faire de génération en génération et contribuent ainsi à la pérennité de cette moisissure 100 % naturelle.

En effet la culture en laboratoire de micro-organismes se fait avec l’utilisation uniquement de produits synthétisés chimiquement ! Même si le micro-organisme de départ a été prélevé dans la nature, celui-ci étant nourri chimiquement n’a plus rien de naturel et ça il faut vraiment en prendre conscience ! Imaginez un humain qui se nourrit uniquement de substances purement chimiques produites en laboratoire …

Dans un autre article je vous parlerai de la culture en laboratoire de différents micro-organismes qui sont ensuite commercialisées pour les fermentations, ainsi que l’ingénierie enzymatique. Vous tomberez de haut … de très très haut !

Une fois que le substrat (céréales, légumineuses) a été inoculé, les spores d’Aspargillus oryzae (ou autres) vont coloniser le milieu par allongement apical et par ramification. Pour se procurer les nutriments nécessaires à leur développement, elles vont pénétrer dans les espaces intercellulaires et intracellulaires du substrat.

Ainsi pour que Aspergillus oryzae  puisse se développer correctement, le substrat utilisé doit être riche en amidon. Pour que Aspergillus sojae puisse se développer dans des conditions optimales, il faut utiliser un substrat riche en protéines.

Il n’est donc pas envisageable de faire du koji en utilisant comme substrat par exemple un légume ou un fruit car ces aliments sont pauvres en amidon et en protéines.

Je précise tout de même que la banane est le seul fruit riche en amidon, tant qu’elle est verte (environ 20 % d’amidon et seulement 0,86 % de sucre). Au fur et à mesure de son mûrissement des enzymes indigènes vont décomposer l’amidon et lorsqu’elle est bien mûre il ne reste plus qu’environ 1 %d’amidon ! C’est la raison pour laquelle la banane doit se consommer mûre ! Consommer une banane verte revient à manger de la farine crue … Pourtant en occident la banane est consommée avant d’être mûre !

Ensuite  une fois bien nourrie,  durant leur phase de croissance les moisissures vont excréter des enzymes. C’est ainsi que le koji se trouve enrichi en enzymes appelées enzymes fongiques. Tout comme certaines  bactéries lactiques par exemple qui excrètent durant leur croissance des enzymes dites bactériennes.

Plus la moisissure se trouve dans un environnement optimal pour son développement et plus la quantité de moisissures sera importante. Il s’en suivra une plus grande quantité d’enzymes excrétées faisant du koji ainsi obtenu un koji ultra riche en enzymes fongiques.  

Ce sont ces enzymes fongiques qui seront par la suite indispensables pour la production de sauce de soja, miso, saké, mirin, ... car elles vont décomposer les macromolécules (protéines, glucides) du substrat utilisé en micronutriments qui vont contribuer non seulement aux valeurs nutritionnelles du produit fini mais aussi aux saveurs particulières et inégalées de ces aliments fermentés.

Différents aliments fermentés maison utilisant du koji comme ferment

Cela explique pourquoi ces aliments fermentés utilisant du koji comme ferment sont ultra riches en enzymes digestives, sont très digestes, sont naturellement riches en acides aminés dont tous les acides aminés essentiels, ont une saveur umami bien plus présente, etc etc

Le koji étant le ferment qui va intervenir durant la production de miso, de sauce de soja, de saké, … il est donc indispensable que le substrat utilisé puisse apporter de quoi faire travailler les principaux agents du koji, soit les enzymes ! Si les nombreuses enzymes se trouvant dans le koji se retrouvent au chômage alors le produit fini sera complètement différent !

Prenons pour exemple concret la production de miso. Traditionnellement au Japon le miso est obtenu en ensemençant du soja avec du koji. Le soja étant naturellement riches en protéines (en moyenne 35%) et contient aussi de l’amidon (environ 12%), les enzymes du koji  vont pouvoir se régaler !

Les enzymes du koji vont décomposer les protéines et l’amidon du soja et cela va conduire à de nombreuses substances qui vont contribuer aux qualités organoleptiques et nutritionnelles du miso obtenu.

Par contre produire du miso de betterave, comme je l’ai lu plus d’une fois, est un non sens. D’abord parce que la betterave est essentiellement constituée d’eau et en plus elle ne contient pas d’amidon et les protéines sont à l’état de traces (moins de 2%). Alors elles vont faire quoi les nombreuses amylases et protéases contenues dans le koji utilisé pour soi-disant faire un miso de betterave !?

Je comprends que l’on puisse avoir envie de faire un miso " original "  voire "  innovant "  mais encore faut-il que cela se rapproche le plus possible du miso traditionnel non seulement en terme de qualités nutritionnelles mais aussi en terme de saveurs !

Parce que le caractère qui distingue le miso traditionnel avec d’autres aliments fermentés c’est la puissance de l’umami dans le produit fini. Et la saveur umami est obtenue grâce à la présence d’une substance bien définie issue de la décomposition des protéines. Alors la betterave elle sera heureuse et donnera le meilleur d’elle-même dans d’autres types de fermentations et certainement pas dans un "  faux miso "  .

Concernant les qualités nutritionnelles et organoleptiques, plus la durée de la fermentation est longue et  plus la quantité de nutriments est importante. Les valeurs nutritionnelles du produit fini sont décuplées.

Ainsi par exemple un miso qui a été fermenté durant 3 mois aura beaucoup plus d’acides aminés que celui qui a été fermenté durant 1 an. Tout simplement parce qu'il faut du temps aux enzymes pour décomposer toutes les molécules de protéines du milieu.

Saviez-vous que le koji est, entre autres, naturellement riche en kojibiose ? Le kojibiose est un sucre constitué de 2 molécules de glucose et qui a des vertus thérapeutiques (antidiabétique, protège le foie, …) .La course à la production industrielle de kojibiose est déjà lancée…

Dans les prochaines publications, nous verrons ensemble à travers mes recettes le protocole de production de koji maison ainsi que son utilisation pour la production de différents aliments fermentés maison.

          REFERENCES

1/ Glucoamylase d'Aspergillus oryzae cultivée sur du riz cuit à la vapeur

https://www.osti.gov/biblio/5302437

2/ Synthèse de l'alpha-amylase par Aspergillus oryzae en fermentation en milieu solide

https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12362403/

3/ Conversions enzymatiques de l’amidon

https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/B9780123965233000014

Eclair
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