Qualités nutritionnelles et gustatives des légumes lacto-fermentés selon de la durée de la fermentation
Il est courant, et c’est même devenu un phénomène de mode, de mettre en avant la richesse en probiotiques des légumes lacto-fermentés. Mais il est crucial de savoir que tous les légumes lacto-fermentés ne se valent pas car leurs valeurs nutritionnelles et gustatives sont intimement liées à la qualité des ingrédients utilisés , à la bonne conduite du processus de lacto-fermentation et à la durée de celle-ci.
Dans cet article j’apporte des éléments d’informations et des explications après avoir analysé et étudié de nombreux résultats d’études scientifiques à ce sujet.
Je vous dit d’emblée, des légumes lacto-fermentés consommés après 9 mois de fermentation par exemple ont de bien meilleures qualités nutritionnelles et gustatives que les mêmes consommés au bout de seulement 3semaines ! Parce qu’il y a des bruits qui courent affirmant que les bactéries lactiques meurent au-delà de 3 semaines de fermentation à cause de l’acide lactique qu’elles produisent. Encore une fois une légende urbaine née de la méconnaissance de la notion d’homéostasie du pH intracellulaire des bactéries lactiques !
Pour comprendre cela mon article sera donc axé sur deux directions :
--> Qualités nutritionnelles des légumes lacto-fermentés
--> Qualités gustatives des légumes lacto-fermentés
Personnellement ces deux qualités sont indissociables pour moi car si le palais se ravit uniquement de caractères organoleptiques comme les saveurs et la texture, l’organisme quant à lui ne se contentera pas uniquemen tdu goût ! Il a surtout besoin de tous les nutriments indispensables à son bon fonctionnement. C’est ce que je m’affaire à obtenir lorsque je créé une recette de lacto-fermentation de fruits et légumes.
Essayez de consommer uniquement des aliments dont les saveurs vous conviennent et sans se soucier ni des nutriments qu’ils apporteraient ni de leurs effets sur votre santé …
Lorsque je créé une recette ,je fais toujours plusieurs bocaux en même temps que je vais consommer au bout d’une durée de fermentation différente (au bout de 3 semaines, 3 mois, 9 mois, …). C’est ainsi que dans un premier temps j’ai pu constater les différences de saveurs selon la durée de la fermentation. Ensuite lorsque je partage ma recette, je mentionne la durée de fermentation idéale qui correspond à celle qui a donné les meilleurs saveurs parmi mes différents tests.
Cette bonification des saveurs au fil du temps ne peut s’expliquer que par les différentes réactions chimiques qui se produisent au cours du temps.
Il ne faut pas oublier que la lacto-fermentation fait appel à des ingrédients crus, des ingrédients frais comme des légumes par exemple qui ont poussé dans un milieu où de nombreux micro-organismes vivants prolifèrent et dont certains se retrouvent sur les légumes eux-mêmes.
Le contenu de nos bocaux est un milieu ultra complexe où la vie s’agence harmonieusement et naturellement selon les différentes conditions physico-chimiques du milieu. Il ne faut pas seulement considérer les micro-organismes vivants qui y sont présents, comme des bactéries des levures ou des spores de moisissures par exemple. Il faut aussi tenir compte des nombreuses molécules organiques et minérales qui y sont présentes et que l’on a tendance à oublier ! Ces différentes molécules, même si elles ne sont pas qualifiées de vivantes comme les micro-organismes, participent à la vie dans le bocal, et heureusement d’ailleurs ! Parce que des bactéries lactiques, aussi nombreuses soient-elles dans un bocal, ne survivront pas longtemps si le milieu était privé de toutes ces molécules organiques et minérales.
La lacto-fermentation est une série de différentes réactions chimiques conduisant au fil du temps à une variation qualititative et quantitative de la composition chimique du milieu .
Par exemple, l’acide lactique qui n’était pas présent au moment ou l’on a fermé le bocal avant la mise en fermentation est produit à partir de plusieurs jours plus tard et sa quantité va augmenter au fil du temps. Il en est de même par exemple pour le gaz carbonique. De manière générale, de nouvelles substances sont produites et d’autres disparaissent ou sont transformées.
Parallèlement à cela de nombreuses autres réactions chimiques, autre que la lacto-fermentation à proprement parler, entre les différentes molécules et ions présents dans le milieu ont également lieu selon les conditions physico-chimiques de celui-ci (pH, température, pression partielle d’oxygène, etc etc).
C’est ce qui explique pourquoi des légumes lacto-fermentés consommés après 3 semaines de fermentation ou au bout de 6 mois n’auront ni les mêmes qualités nutritionnelles ni les mêmes qualités organoleptiques.
Une lacto-fermentation de légumes, tout comme toute autre sorte de fermentation, est un milieu évolutif. Rien n’est figé et les différentes réactions chimiques qui vont se produire vont dépendre des différentes substances présentes dans le milieu !
Par exemple, la vit C est un inhibiteur de l’enzyme qui catalyse la réaction d’oxydation. Si le milieu manque de vit C alors que la quantité d’oxygène est importante alors l’enzyme responsable de l’oxydation va être très active et la partie supérieure du contenu du bocal va s’oxyder.
La quantité des bactéries lactiques vivantes ainsi que celle des différents nutriments dans le produit fini sont les paramètres mesurant les qualités nutritionnelles des fruits et légumes lacto-fermentés.
Les saveurs dépendront des molécules aromatiques présentes dans le milieu. En chimie organique, on distingue les molécules aromatiques qui sont de forme cyclique et qui sont responsables du goût alors que les arômes sont des molécules linéaires qui sont volatiles et qui sont responsables des odeurs.
L’adage " si ça sent bon, alors c’est bon " n’a aucune crédibilité scientifiquement parlant puisque le goût et l’odeur sont apportés par des molécules différentes ET indépendantes.
Nous allons donc voir ensemble :
--> Les facteurs qui influent sur la viabilité des bactéries lactiques au cours d’une lacto-fermentation et plus précisément l’acidité du milieu.
--> Les facteurs qui influent sur l’amélioration qualitative du produit lacto-fermenté
--> Les facteurs qui permettent la bonification des saveurs au fil du temps
I- Qualités nutritionnelles des légumes lacto-fermentés en fonction de la durée de fermentation
Au cours du processus de lacto-fermentation de fruits et légumes, les bactéries lactiques initialement présentes dans le milieu vont se multiplier si les conditions requises sont réunies.
Ces bactéries lactiques vont produire, entre autres, de l’acide lactique et c’est cet acide lactique qui va permettre la conservation (même en dehors du frigo)du produit fini.
Plus la quantité d’acide lactique produite par les bactéries lactiques est importante et plus la conservation sur une longue durée sera assurée. Ce qui explique pourquoi une lacto-fermentation courte de 5 jours ne pourra pas se conserver aussi longtemps qu’une lacto-fermentation de 3 semaines.
C’est encore cet acide lactique qui va acidifier le milieu le rendant ainsi inhospitalier à certains pathogènes.
I-1 Acidité du milieu et viabilité des bactéries lactiques
Lors d’une lacto-fermentation de fruits et légumes, l’acidité du milieu va augmenter proportionnellement à la quantité de bactéries lactiques. La multiplication des bactéries lactiques va induire une plus importante production d’acide lactique. Cela explique pourquoi au cours du processus de lacto-fermentation, le milieu devient de plus en plus acide.
Cette production d’acide lactique va monter en flèche durant environ les 3 premières semaines de fermentation (selon les conditions environnementales de la fermentation et selon la qualité des ingrédients utilisés) passant généralement d’une valeur de pH de 6,5 à 4 puis elle se ralentira nettement par la suite pour se stabiliser à un pH autour de 3,5 qui est la valeur minimale du pH de légumes lacto-fermentés.
L’acidité d’un milieu se mesure par la quantité de protons H+ libres qui s’y trouvent. En d’autre terme, plus il y a des H+ libres dans le milieu et plus celui-ci est acide.
Nous verrons plus loin pourquoi au fil du temps le nombre de H+ dans le milieu diminue ce qui explique pourquoi certains légumes lacto-fermentés deviennent moins acides après plusieurs mois ou quelques années.
Mais d’abord voyons ce qu’il en est concrètement concernant la viabilité des bactéries lactiques en milieu acide.
La notion de stress acide des bactéries lactiques est un sujet exploité dans de nombreuses études scientifiques. Il s’agît de la capacité des bactéries lactiques à survivre dans un milieu acide. Mais ce qu’il faut savoir c’est que dans ces études le pH intracellulaire des bactéries lactiques appelé aussi pH cytoplasmique est différencié du pH extracellulaire c’est à dire le pH du milieu dans lequel elles se trouvent.
C’est la méconnaissance de cette notion de pH intracellulaire des bactéries lactiques qui est source de mauvaise interprétation de certaines données scientifiques.
Tout comme la définition biologique d’une bactérie anaérobique et celle d’un milieu anaérobique sont différentes et qui ont fait dire, à tort, à de nombreuses personnes que la lacto-fermentation de fruits et légumes doit se faire en milieu anaérobique ! J’explique cela en détail dans cet article ICI
Il se trouve que le pH intracellulaire d’une bactérie lactique est variable au fil du temps, selon la composition chimique du milieu.
Et encore une fois, ce sont des enzymes qui vont réguler cette variation du pH intracellulaire des bactéries lactiques. Ces enzymes assurent donc l’homéostasie du pH intracellulaire des bactéries lactiques. Des enzymes de transport de protons H+ pour être bien précis, des enzymes appelées ATPases. Si il y a trop de H+ dans la cellule d’une bactérie lactique, l’enzyme de transport va récupérer les H+ excédentaires pour les amener dans le milieu extracellulaire de la bactérie lactique.
Tant que ces enzymes de transport des ions H+ sont actives alors elle va réguler la quantité de H+ dans la cellule de la bactérie lactique. De manière générale, les enzymes de transports, et toutes les autres enzymes, ne sont inactives qu’à pH du milieu inférieur à 3 même si elles ont chacune leur zone de pH d’activité optimale.
Dans mon article ICI sur le sel et las lacto-fermentations des fruits et légumes, j’explique le rôle primordiale des enzymes de transport. J’y ai expliqué qu’il y a des enzymes de transport spécifiques aux ions sodium Na+ issus de la dissolution en solution aqueuse du sel, des enzymes de transport spécifique aux protons H+, etc etc
De nombreuses études scientifiques ont permis de déterminer qu’à pression atmosphérique le pH intracellulaire des bactéries lactiques reste toujours supérieure à celui du milieu acide dans lequel elles se trouvent.
De manière générale, en milieu acide, le pH intracellulaire des bactéries lactiques est supérieur de 1,5 à 2 voire 2,5 par rapport au pH du milieu.
Ainsi si par exemple le milieu a un pH de 3,5 (ce qui est généralement le cas des légumes lacto-fermentés pendant 9 mois par exemple) le pH intracellulaire des différentes bactéries lactiques seraient de 5 à 5,5 voire 6. Aucune bactérie lactique ne meurt si son pH intracellulaire est de 5 !
Prenons 2 exemples concrets de bactéries lactiques bien connues des fermenteurs : Lactobacillus plantarum et Lactococcus lactis. Pour ces 2 bactéries lactiques, en milieu acide, la différence de pH entre le pH intracellulaire et le pH du milieu est de 2,3.
Ainsi pour ces deux bactéries lactiques, si le pH du milieu est de 4 alors leur pH intracellulaire est de 6.3
Alors qu’en milieu alcalin leur pH intracellulaire est égale au pH du milieu.
Voir graphique ICI (Je vous mets en référence le lien pour cette étude)
D’autre part si de l’aide citrique (agrumes) est présent dans le milieu, les bactéries lactiques naturelles (celles qui existent dans la nature) ont la capacité de maintenir leur pH intracellulaire à une valeur plu sélevée se rapprochant de la neutralité !
C’est le cas par exemple de la bactérie lactique Leuconostoc mensenteroides (bactérie lactique de la choucroute et du kimchi de chou) qui est capable de maintenir leur pH intracellulaire à 6,5 lorsque le pH du milieu est de 4 !Je vous mets le lien d’un article qui compare cette capacité entre des bactéries lactiques sauvages et des bactéries lactiques de culture.
Je précise que lorsque je disque Leuconostoc mensenteroides est la bactérie lactique de la choucroute et du kimchi de chou, ça ne veut pas dire que c’est l’unique bactérie lactique présente. Ça veut dire que cette bactérie lactique se trouve en plus grande quantité parmi d’autres.
Alors de grâce faites attention aux nombreuses intox qui circulent dans le milieu de la fermentation maison et de la fermentation artisanale ! Des intox qui sont nés de méconnaissance de définitions biologiques, de méconnaissance des réactions intracellulaires et des réactions chimiques tout court et qui sont fait de fausses interprétations tout simplement ! Des interprétations en mode raccourci !
J’attire l’attention sur les nombreux contenus sur wikipédia. Sachez que wikipédia et tout les wiki machin truc ne sont ni plus ni moins qu’un espace ouvert à qui veut traiter un sujet. Pour cela il suffit de s’y inscrire et puis y rédiger son article, peu importe votre domaine de compétence et vos connaissances. Toute personne inscrite sur wikipédia pourra par la suite rajouter de nouveaux contenus, apporter des modifications, dans un contenu déjà existant. Et il arrive que les choses dites par les différents intervenants dans un même article sont contradictoires !
Je prends un exemple concret ,la bactérie lactique selon wikipédia. En tout début de page il y est écrit noir sur blanc que les bactéries lactiques sont des bactéries anaérobies. Plus bas dans la même page dans la section utilisation, il est mentionné que les bactéries lactiques sont aéro-anaérobies ou micro-aréophiles. Il faudrait savoir parce qu’une bactérie lactique, et quelque soit la bactérie d’ailleurs, ne peut pas être un coup anaérobie et un coup aéro-anaérobie ! C’est soit l’un soit l’autre !
Alors attention, wikipédia est très loin d’être la source incontestable d’informations justes .
Ayez toujours un esprit critique lorsque vous lisez ou lorsqu’on vous dit quelque chose. Affirmer que les bactéries lactiques meurent au-delà de 3 semaines de fermentation à cause de l’acide lactique qu’elles produisent elles-mêmes est une aberration. Faites analyser vos légumes lacto-fermentés après 9 mois de fermentation par exemple et venez m'en dire des nouvelles.
L’homéostasie du pH intracellulaire des bactéries lactiques a fait l’objet de nombreuses études scientifiques. Il s’agît d’étudier la capacité des bactéries lactiques à affronter le stress acide. Toutes ces études révèlent qu’en milieu acide le pH intracellulaire des bactéries lactiques reste toujours supérieur à celui du milieu d’une valeur allant de 1,5 à 2 voire 2,5 si de l’acide citrique est présent dans le milieu (agrumes).
Le pH minimal des légumes lacto-fermentés, même après des années de fermentation, est de l’ordre de 3,5. Ce qui signifie que le pH intracellulaire des différentes bactéries lactiques présentes dans la préparation varie entre environ 5 et 6,5 selon la bactérie lactique.
D’autres part les bactéries lactiques ont également la capacité de mettre en place une réponse adaptative au stress acide au fur et à mesure de la diminution de leur pH intracellulaire. C’est ce que l’on appelle la résistance au stress qui est un processus évolutif par lequel un micro-organisme devient plus apte à vivre dans certaines conditions.
Ainsi lorsque les bactéries lactiques sont d’abord soumises à un stress acide modéré(diminution modérée du pH du milieu), cela leur permet d’augmenter leur résistance à un éventuel stress létal.
Avant d’atteindre le pH intracellulaire létal, les bactéries lactiques adoptent un mode de défense qui leur permet de survivre en synthétisant d’avantage d’enzymes de transport qui assureront le transport des excédents de H+ dans la cellule des bactéries vers le milieu extérieur. Voilà ce qui explique pourquoi malgré la diminution du pH du milieu, le pH intracellulaire des bactéries reste toujours supérieur au pH du milieu dans lequel elles se trouvent.
La valeur du pH intracellulaire létal varie selon les bactéries lactiques, mais de façon générale leur pH intracellulaire létal est de 4. Ce qui signifie que pour que les bactéries lactiques meurent, il faudrait qu’elles se trouvent dans un milieu dont le pH se trouve inférieur ou égal 2,5 (Puisque le pH intracellulaire des bactéries lactiques est toujours supérieurs de 1,5 à 2 unité pH par rapport au pH du milieu). Comme dit plus haut, il est chimiquement impossible d’avoir des légumes lacto-fermentés ayant un pH inférieur ou égal à 2,5 !
La bactérie lactique Lactobacillus plantarum est non seulement vivante à un pH du milieu d’une valeur de 3,2 mais elle continue de se multiplier ! (Lien de l’article dans les références) .
Non seulement c’est une des bactéries lactiques les plus résistantes au stress acide mais c’est aussi une des bactéries lactiques les plus abondantes sur les légumes !
Alors n’ayez crainte de prolonger vos lacto-fermentations de légumes à 9 mois, 1 an ou bien plus car les bactéries lactiques seront toujours bel et bien vivantes ! A moins que vous immergiez vos produits finis dans du vinaigre ou de l’acide chlorhydrique mais c’est bien sûr ironique afin que vous mesuriez l’absurdité de certaines affirmations.
A titre de comparaison, le kéfir de lait qui est l’aliment laco-fermenté connu à ce jour comme le plus riche en bactéries lactiques a un ph entre 3 et 4,3 selon la durée de fermentation. Alors si dans des légumes lacto-fermentés ayant un pH de 3,5 il n’y a plus de bactéries lactiques vivantes, pourquoi le kéfir de lait en serait beaucoup plus riche alors qu’il est plus acide ?
Posez vous ce genre de question, cela vous permettra de détecter les incohérences dans certaines affirmations.
Faites attention également lorsque vous lisez des documents sur les fermentations en générale. Sachez que la science aussi évolue au fil du temps grâce à des technologies beaucoup plus précises et beaucoup plus pointues. Il arrive que des données scientifiques datant des années 80 par exemple ne sont plus valables de nos jours.
I-2 Variation de la composition chimique des légumes lacto-fermentés au fil du temps
La lacto-fermentation est réalisée par une population microbienne séquentielle : c'est à dire que les différentes bactéries lactiques présentes dans le milieu ne se multiplient pas toutes en même temps, en effet chaque bactérie lactique a :
1/ Une valeur de pH intracellulaire optimale de croissance.
2/ Un pH intracellulaire inhibiteur de croissance c’est à dire le pH intracellulaire à partir duquel elle ne se multiplie plus mais reste toujours vivante.
3/ Puis un pH intracellulaire létal.
Ainsi ce sont les bactéries lactiques ayant un pH intracellulaire optimal de croissance autour de 6,5 qui vont se multiplier en premier, c’est le cas par exemple de Leuconostoc mensentéroide (bactérie lactique de la choucroute, du kimchi de chou, …). Ce sont donc les 1ères à produire de l’acide lactique qui va permettre d’abaisser progressivement le pH du milieu. Au fur et à mesure que le pH du milieu baisse, d’autres bactéries lactiques ayant un pH optimal de croissance plus bas (pH 5 par exemple) vont pouvoir à leur tour se multiplier et ainsi de suite.
La bactérie lactique Leuconostoc mensenteroide, majoritairement présent dans la choucroute et dans le kimchi de chou par exemple se multiplie pour un pH de milieu allant de 6,5 à 3,2.
L’activité des bactéries lactiques dans le milieu s’établit en deux phases principales qui se suivent l’une après l’autre
Lorsque le pH intracellulaire inhibiteur de croissance est atteint, la multiplication des bactéries cesse mais elles ne sont pas mortes pour autant ! De nouvelles réactions chimiques vont se produire au sein de leur cellule, des réactions chimiques qui auront pour conséquence de modifier la composition chimique du milieu extérieur.
Les bactéries lactiques vont libérer dans le milieu de nombreuses substances se trouvant initialement dans leur cellule. Cette phase est celle de production de postbiotiques dans le milieu où se trouvent les bactéries lactiques. Et je précise que posbiotique ne signifie pas systématiquement que les probiotiques qui les ont produites sont mortes !
Si par exemple vous utilisez des légumes lacto-fermentés pour faire de la soupe alors oui dans ce cas là les probiotiques vont mourir mais les postbiotiques qui sont résistances à la chaleur seront toujours là.
Ces substances excrétées par ces bactéries lactiques sont appelées des métabolites. En biologie, on appelle métabolite toute molécule organique se trouvant à l’intérieur d’une cellule et qui est indispensable à son développement et à la reproduction. Dans le cas des bactéries lactiques, ces métabolites sont par exemple des enzymes, des vitamines, des exoplysaccharides (EPS), des acides aminés, …
Du fait que la bactérie lactique se trouve dans un milieu dont le pH a atteint le pH intracellulaire inhibiteur de croissance, elle va cesser de se multiplier. Elle n’aura donc plus besoin de certaines substances contenues dans sa cellule, qui étaient indispensables pour sa croissance, appelées facteurs de croissance. Elle aura juste besoin de nutriments lui permettant de rester en vie (exemple, sucre). Dans cet article ICI sur les kefirs j’explique la notion de facteurs de croissance et nutriments de base des bactéries lactiques.
Et là encore les bactéries lactiques vont adopter une phase d’adaptation par rapport au sucre présent dans le milieu. Si le glucose est le sucre préférentiel des bactéries lactiques, lorsque celui-ci n’est plus présent dans le milieu les bactéries lactiques vont se nourrir d’autres sucres. Elles vont d’abord passer par une phase dite stationnaire, qui est la phase d’adaptation à proprement parler, afin de synthétiser les substances leur permettant d’utiliser d’autres sucres (fructose, mannose, sorbose, ...).
Elle va naturellement se libérer de toutes les molécules dont elle n’a plus besoin. C’est ainsi que des molécules comme des vitamines, certaines enzymes, des acides aminés vont être excréter dans le milieu.
C’est ainsi par exemple que le chou lacto-fermenté devient beaucoup plus riche en vitamine C que le chou cru. Le supplément de vit C étant des vit C bactériennes. C’est ainsi aussi que les légumes lacto-fermentés se retrouvent également plus riche en différentes enzymes, en acides aminés, etc etc
L’excrétion de ces différentes substances se fait progressivement dans le temps ce qui explique pourquoi la qualité nutritionnelle des légumes lacto-fermentés dépend de la durée de fermentation !
Si vous consommez vos légumes lacto-fermentés au bout de 3 semaines de lacto-fermentation, vous vous privez de nombreuses substances bénéfiques pour la santé que certaines bactéries lactiques qui se sont développées n’ont pas encore excrétées de leur cellule !
Vous allez peut-être me dire, mais Laly quand je mange mes légumes lacto-fermentés, je mange aussi les bactéries lactiques qui s’y trouvent et par conséquent les vitamines, les enzymes, … qui sont dans leur cellule !
Bah non, parce que les vitamines dans la cellule de la bactérie lactique par exemple ne sont pas à l’état libre et donc elles ne pourront pas être utilisées par notre organisme.
I-2-1 Les Acides Gras à Courtes Chaînes (AGCC)
Parmi les substances les plus bénéfiques pour notre santé apportées par des légumes qui ont été lacto-fermentés de longs mois voire des années, il y a les acides gras à courtes chaînes (AGCC). Les AGCC sont les postbiotiques les plus bénéfiques pour notre santé.
Les AGCC sont des substances qui assurent et maintiennent non seulement l’immunité intestinale mais aussi l’immunité globale. De nombreuse études ont permis de démontrer leurs propriétés hautement anti-inflammatoires, anti-tumorales, etc etc
Dans notre organisme c’est au niveau de la lumière intestinale que se synthétisent les AGCC grâce à la fermentation des fibres par des bactéries spécifiques appelées Firmicutes. Les Firmicutes sont une famille de bactéries composées de différentes classes dont les bactéries lactiques.
Si notre microbiote est déséquilibré et présente une carence en Firmicutes responsables de la fermentation des fibres alors par conséquent notre organisme aura une carence en AGCC .
Les aliments fermentés, dont les légumes lacto-fermentés, sont les seules sources alimentaires en AGCC mais à condition que les bactéries lactiques ne soient plus en phase de croissance mais en phase d’excrétion de postbiotiques. La lacto-fermentation doit donc avoir eu lieu durant au moins des mois.
En effet ce sont des enzymes spécifiques se trouvant dans la cellule des bactéries lactiques qui vont décomposer les fibres des légumes conduisant ainsi à la production d’AGCC. Il est donc indispensable que ces enzymes spécifiques soient excrétées des cellules des bactéries lactiques pour qu’elles puissent se mettre à l’oeuvre. Et comme dit plus haut c’est seulement durant la 2ème phase de vie des bactéries lactiques, une fois que leur pH intracellulaire inhibiteur de croissance est atteint, qu’elles vont commencer à libérer de nombreuses substances contenues dont leur cellule dont ces fameuses enzymes qui vont dégrader les fibres.
Je rappelle le fonctionnement principal des enzymes : une enzyme va intervenir au cours d’une réaction chimique bien précise afin de la catalyser c’est à dire accélérer son processus. Une réaction chimique faisant appel à une enzyme est une réaction enzymatique.
Au cours de cette réaction l’enzyme va s’associer avec un substrat et à la fin de la réaction il se formera un nouveau produit et l’enzyme elle même reste intacte gardant ainsi ses propriétés physico-chimiques d’origine. C’est seulement lorsqu’une réaction chimique est achevée que la même enzyme va s’attaquer à un autre substrat.
Si par exemple il y a 10 enzymes actives dans le milieu et 1500 molécules de fibres alimentaires alors chacune de ces enzymes va devoir intervenir 150 fois pour pouvoir dégrader les 1500 molécules de fibres alimentaires! Il faudra donc leur laisser le temps de faire leur job !
Vous l’avez compris, plus on laissera la fermentation se poursuivre et plus le produit fini sera riche en AGCC.
Je précise que tous les fruits et légumes contiennent des fibres, à des taux différents bien sûrs.
I-2-2 Des postbiotiques qui contribuent à augmenter le pH du milieu
D’autre part, certains métabolites excrétés par les bactéries lactiques durant leur deuxième phase de vie contribue aussi à augmenter le pH du milieu.
Des fermenteurs témoignent de la diminution de l’acidité de leurs légumes lacto-fermentés au bout de plusieurs mois. Je vais vous expliquer pourquoi et comment.
Il faut retenir que ce qui rend un milieu acide c’est la présence de protons H+ libres dans ce milieu.
Tout comme la salinité qui est due à la présence de cation sodium Na+ libre dans le milieu. En effet ça n’est pas le sel qui apporte le goût salé mais le cation sodium Na+ libre issu de la dissolution en milieu aqueux du sel. J’explique cela dans cet article ICI sur le rôle du sel dans les lacto-fermentation de fruits et légumes.
Plus il y aura de H+ libres dans le milieu alors plus celui-ci sera acide. Or certaines substances libérées par les bactéries lactiques durant leur 2ème phase de vie, comme certains acides aminés par exemple, sont des molécules chargées négativement. Comme les opposés s’attirent, ces acides aminés chargés négativement vont se lier aux protons H+ diminuant ainsi le nombre de H+ libres dans le milieu. C’est ainsi que le pH va augmenter !
Plus la quantité d’acides aminés chargés négativement est importante, plus la quantité de H+ libres va diminuer et plus le pH va augmenter. C’est ainsi que certains légumes lacto-fermentés se retrouvent moins acide au fil du temps.
Il y a bien sûr d’autres molécules et ions chargées négativement susceptibles de s’associer aux H+ libres du milieu mais je ne vais pas les énumérer tous ici car le plus important c’est que vous sachiez que certains H+ qui étaient libres à un moment donné ne le sont plus à un autre instant.
II- Qualités gustatives des légumes lacto-fermentés en fonction de la durée de fermentation
ça n’est pas un secret, de nombreux fermenteurs témoignent de la bonification des saveurs de leur légumes lacto-fermentés au fil du temps.
Alors même si les goûts et les couleurs ne se discutent pas, c’est un fait avéré que les saveurs évoluent au fil du temps.
Les molécules aromatiques, c’est à dire les molécules responsables du goût, sont des composés organiques cycliques et planes.
La racine de toutes les molécules aromatiques est la molécule de benzène qui est composée de 6 atomes de carbones et 6 atomes d’hydrogène (C6H6) disposés dans un cycle planaire. Le benzène est aussi appelé arène et toutes les molécules aromatiques sont une association d’un nombre différents d’arène.
Ensuite différents groupes fonctionnels comme un éther, ou un aldéhyde par exemple peuvent se greffer sur la molécule de benzène pour donner naissance à une autre molécule aromatique.
La formation de nouvelles molécules aromatiques au cours d’une lacto-fermentation, et au cours de toute autre fermentation, est responsable des saveurs complexes dans les aliments fermentés. La naissance de nouvelles molécules aromatiques va non seulement dépendre des substances présentes dans le milieu et qui sont capables d’interagir entre elles mais aussi de la durée de la fermentation.
On va prendre l’exemple de la molécule de vanilline (C8H8O3). Lorsqu’un groupement aldéhyde, un groupement hydroxyle et un groupement éther viennent se greffer sur une molécule de benzène alors cela donnera naissance à la molécule de vanilline. Cela explique l’existence de la saveur de vanille (même subtile) dans certain produit fermenté.
Citons un exemple d’aliment fermenté bien connu, le vin. C’est au cours de la maturation du raisin que se développent différentes molécules aromatiques. Les arômes du vin sont classées en arômes primaires, arômes secondaires et arômes tertiaires.
Les arômes primaires sont apportées par le raisin lui-même et sont caractéristiques des cépages. Tandis que les arômes secondaires sont ceux produits au cours du métabolisme fermentaire des levures et bactéries. Puis il y a les arômes tertiaires, appelés dans le milieu arômes de vieillissement, qui résultent de différentes réactions soit par voie enzymatique soit par réaction purement chimique. Tout cela explique pourquoi plus un vin vieilli plus ses saveurs se modifient.
Lors de la fabrication de fromage, les saveurs évoluent au fil de l’affinage. Un comté qui a été affiné durant 18 mois n’aura jamais les mêmes saveurs que celui affiné durant 6 mois ! Toujours pour les mêmes raisons : différentes réactions chimiques conduisant à la production de nouvelles molécules aromatiques.
Le miso est un aliment fermenté dont les saveurs évoluent également au fil du temps. Un jeune miso de 3 mois ne peut pas avoir les saveurs complexes d’un miso de 1 an de fermentation par exemple.
De manière analogue, c’est ce qu’il se produit lors de la lacto-fermentation de légumes. La phase de maturation correspond aux différentes réactions qui se produisent lorsque les bactéries lactiques sont dans leur deuxième phase de vie c’est à dire une fois qu’elles ont cessé de se multiplier et ont commencé à excréter différents métabolites.
Conclusion
Il est important de différencier le pH intracellulaire des bactéries lactiques du pH du milieu dans lequel elles se trouvent.
En milieu acide le pH intracellulaire d’une bactérie lactique a une une valeur toujours supérieure à celui du milieu, une valeur allant de 1,5 à 2 unités pH voir 2,5. En milieu alcalin, le pH intracellulaire des bactéries lactiques est égal au pH du milieu.
En milieu acide, le pH intracellulaire des bactéries lactiques évolue d’une zone de croissance à une zone d’arrêt de la croissance. Ce sont des enzymes de transport appelées ATPases qui assurent l’homéostasie du pH intracellulaire en amenant les H+ excédentaires se trouvant dans la cellule de la bactérie lactique vers le milieu extérieure. C’est grâce à cette homéostasie du pH intracellulaire que les bactéries lactiques peuvent rester vivantes tant que leur pH intracellulaire n’atteint pas la valeur létale qui en générale de 4, ce qui correspond à un pH du milieu allant de 2,5 à 1,5.
Le pH minimal des légumes lacto-fermentés, quelque soit la durée de fermentation, est de l’ordre de 3,5.
L’activité des bactéries lactiques au cours d’une lacto-fermentation de légumes se répartit en deux phases distinctes se produisant l’une après l’autre : une phase de multiplication et une phase d’excrétion de métabolites appelés postbiotiques qui étaient contenus dans leur cellule.
C’est durant cette deuxième phase d’activité des bactéries lactiques que les légumes lacto-fermentés s’enrichissent en différents enzymes bactériennes et nutriments bactériens c’est à dire des enzymes et des nutriments initialement contenus dans la cellule des bactéries lactiques.
C’est encore durant cette deuxième phase d’activité des bactéries lactiques que de nombreuses réactions chimiques conduisant à la formation de nombreuses nouvelles molécules aromatiques ont lieu. Ce sont ces nouvelles molécules aromatiques qui sont responsables des saveurs complexes des aliments fermentés.
Alors n’ayez crainte de lacto-fermenter vos légumes durant 3 mois, 6 mois, 9 mois et bien plus encore. Les bactéries lactiques seront encore bel et bien vivantes et vous bénéficieriez en plus de la bonification des saveurs ainsi que des légumes enrichis naturellement en différents nutriments.
Ne pas oubliez que les aliments fermentés (dont les légumes lacto-fermentés) durant au moins des mois, sont les seuls aliments source d’AGCC (acides gras à courtes chaînes) qui ont un rôle primordial dans l’immunité intestinale et l’immunité globale.
Références
1/ Détermination in situ du pH intracellulaire de Lactococcus lactis et Lactobacillus plantarum pendant le traitement sous pression
https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC124068/
2/ Haute tolérance des souches sauvages de Lactobacillus plantarum et d'Oenococcus oeni à la lyophilisation et aux conditions environnementales de stress du pH acide et de l'éthanol
https://academic.oup.com/femsle/article-abstract/230/1/53/765417?redirectedFrom=fulltext&login=false
3/ Homéostasie du pH des bactéries lactiques
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0022030293775736
4/ Modifications dynamiques du pH intracellulaire dans les cellules individuelles de bactéries lactiques en réponse à une chute rapide du pH extracellulaire
https://pmc.ncbi.nlm.nih.gov/articles/PMC110524/#B11
5/ Fruits et légumes : Microbiote et immunité
https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0007996022000268
6/ Revue systémique de l'association entre les acides gras à courtes chaînes et les maladies allergiques
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/all.16065